Bien sûr que je suis née dans une famille aisée. Pour reprendre la trend en vogue des cas sociaux.
Cela relève du passé, car ma famille maternelle (juive) est allée vivre en Israël. Toutes les choses que j'énumère sont derrière moi, aujourd'hui je suis seule en France et même si je peux compter sur leur aide financière, ça n'a rien à voir avec ce que j'ai vécu.
Ma famille est séfarade, c'est-à-dire juive d'origine magrhébine, plus précisément d'Algérie. Mes grands parents ont fuit le pays au moment de l'indépendance. Ma grand-mère a grandi à Alger, la capitale, et mon grand-père à Bordj, un petit village.
Les juifs de l'époque étaient (à la différence des arabes via le décret crémieux) naturalisés français. Quand la situation est devenue chaotique en Algérie avec la montée des actes terroristes qui précédaient l'indépendance, c'est tout naturellement que mes grands parents sont montés en France.
Mon grand-père a réussi à se faire employer dans une banque quelques temps après son arrivée, non sans avoir tenté avant d'être professeur, ironie du sort il a été refusé pour ses piètres qualités en art plastique. Au final, il fini directeur de banque, et ma mère, sa fille, l'a suivi dans son parcours.
Ma grand-mère était moins portée sur les ambitions professionnelles, elle était dans l'assurance. Mais elle faisait énormément dans les tâches du foyer, car elle se fiait surtout à son éducation juive quand elle était en Algérie.
J'ai grandi au milieu de tout ça. Au milieu des traditions, dont l'interdiction d'allumer le vendredi soir et le samedi durant shabbat, ne pas manger de porc, aller à la synagogue, et j'en passe. Quand j'étais jeune je le rejetais, j'avais aussi mon père qui n'était pas juif et je me reposais là-dessus pour ironiser un maximum...
Avec du recul c'était chouette. Pendant les fêtes juives, toute la famille maternelle se réunissait chez mon grand-père. Ma grand-mère, en tant que cheffe de maison, faisait tout elle-même, les recettes séfarades que sa belle-mère lui avait appris. Le couscous, les pestels, la salade de fenouille, les gâteaux sans lait parce qu'on ne mélange pas la viande et le lait... Des souvenirs incroyables. Et des fêtes juives, il y en a beaucoup.
Il y a celle de Pessah par exemple, où pour rendre hommage au périple des juifs en Égypte qui n'avaient plus de levure, on ne mange pratiquement que de la galette. Les épiceries juives en débordent : galettes à l'eau, galettes au vin et à l'orange... On doit aussi changer la vaisselle.
Toutes ces petites coutumes ont donc fait partie intégrantes de ma vie, sans que je ne le choisisse ou m'en rende vraiment compte. C'est comme ça, c'est ma culture. Longtemps je disais à ma mère que je n'étais pas juive.
Depuis que je suis revenue en France toute seule, je me rends compte que j'ai une différence avec monsieur et madame tout le monde. Sans parler du fait que j'ai habité Israël pendant 4 ans, détail que j'essaie progressivement d'oublier, je vois d'autant plus toutes ces choses qui faisaient partie de mon quotidien avant de s'évanouir. J'achète et je consomme du porc, et je dois dire que c'est très bon, et pas cher. Mais pendant 20 ans, je n'en ai jamais mangé.
Bien sûr j'ai déjà fait des entorses dans le dos de ma mère, j'ai mangé des crevettes et des moules car les crustacés sont également interdits dans la religion. Mais c'était en cachette, pas dans une consommation régulière.
J'ai grandi dans une belle maison en région parisienne, dans une ville dotée d'une communauté juive, indispensable pour ma famille. Mes grands parents avaient une maison magnifique, aménagée à la mode séfarade. Tapisserie, moquette, lustres, buffets et vitrines en bois (lustrés à la cire militairement) tapis orientaux, grands rideaux brodés, rien n'était laissé au hasard.
On avait également un appartement secondaire à Annecy que mon grand-père avait acheté dans les années 80, pendant sa construction, juste à côté du lac. J'y ai passé bon nombre de vacances.
Bien sûr tout ça a été vendu. Ma famille a décidé de vivre sur la terre de leur religion, et je ne partage pas leur décision. Néanmoins, je ne leur en tient pas rigueur, en tout cas plus maintenant. Car tous ces souvenirs remontent un à un à la surface et si j'exclue les problèmes que j'avais durant ma jeunesse, je n'en garde qu'une chose : un trésor.
Un trésor de repenser à la beauté incroyable de la maison de mes grands parents, endroit dans lequel j'ai fait mes premiers pas dans la vie. Ma grand-mère derrière ses fourneaux à qui je racontait mes problèmes, elle qui se rendait toujours disponible en vraie mamie gâteau et femme de foyer.
On parle souvent d'ascension sociale, du moteur qui pousse les pauvres à s'enrichirent, moi je pense que la vraie rage au contraire c'est de voir les choses devenir minables tout d'un coup.
On ne peut pas s'habituer à la misère, au fond de nous il y a une lumière qui brille à tout jamais. En tout cas moi, je le sais. Donnez à quelqu'un de la misère toute sa vie, il n'aura jamais aucun autre repère et ne sera même pas conscient de sa situation. Pour avoir des exigences dans la vie, il faut en avoir le souvenir.
Mais au final,
C'est quoi la vraie richesse ?
L'innocence de la jeunesse, le fait d'être entouré ?
En tout cas ce n'est certainement pas l'amour venté par Hollywood 😂